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Les lanceurs d'alerte dans le monde du sport


Dans notre dernier numéro, nous consacrions notre rubrique "C'est quoi ?" aux lanceurs d'alerte. Ces derniers peuvent intervenir dans tous domaines notamment dans celui du sport. Tatiana Vassine, avocate spécialisée du sport, a défendu plusieurs lanceurs d’alerte dans le sport. Elle nous éclaire sur les difficultés qu'ils ont pu rencontrer…

Kezako : Nous avons entendu parler d’affaires retentissantes en matière politique, économique, de santé publique… dévoilées par des lanceurs d’alerte. Y en a-t-il également dans le monde du sport ?


Tatiana Vassine : Le sport ne fait pas exception ! On y trouve aussi des lanceurs d’alerte plus ou moins connus.


K. : Pourriez-vous donner un exemple d’affaire mise au jour par un lanceur d’alerte dans ce secteur ?


T. V. : L’affaire du dopage en Russie ayant conduit à son exclusion des Jeux olympiques a été révélée par plusieurs lanceurs d’alerte russes : Evgenia Pecherina, athlète russe qui affirme que 99 % des athlètes russes seraient dopés, les époux Stepanov, couple d’athlètes, ou encore Grigory Rodchenkov, le directeur du laboratoire russe antidopage.

C’est une affaire assez retentissante puisqu’elle a révélé un système de dopage institutionnalisé par la Russie avec des dissimulations d’échantillons, des tests truqués, des salles secrètes cachées dans les laboratoires pendant les JO de Sotchi par exemple. Le tout afin de dissimuler le dopage des athlètes russes. Son histoire a d’ailleurs donné lieu à un film documentaire intitulé Icare, très bien réalisé, que je vous recommande.


Voir la bande-annonce du film documentaire Icare, de Bryan Fogel, sorti en 2017 (Oscar du meilleur film documentaire) : bande-annonce


On peut aussi penser au cas de « John [1] » ce mystérieux anonyme ayant permis la révélation des football leaks (dispositif massif d’évasion fiscale mis en place dans le football), à celui de Rachael Denhollander [2], la première gymnaste à avoir publiquement accusé l’ancien médecin olympique de la fédération américaine de gymnastique de multiples agressions sexuelles, suivie par des dizaines de gymnastes abusées dès 13 ans, ou, à sa manière, celui de Billie Jean King qui a révélé, dénoncé les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes dans le tennis et s’est battue pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Sans oublier les dossiers du #FIFAGate à l’explosion desquels sont liés plusieurs lanceurs d’alerte.


Il faut rendre hommage à ces femmes et hommes qui incarnent mieux que quiconque les valeurs du sport.


Extrait des mots prononcés par la juge aux côtés de Rachael Denhollander et des autres jeunes filles de l’accusation : « Je vous ai entendues », « vous avez repris le contrôle ». « Vous êtes en train de guérir. » « Vous avez un nom, une voix, vous êtes fortes. » « Laissez votre douleur ici, sortez de ce tribunal, et faites des choses magnifiques. »


K. : Est-ce difficile pour un sportif, un entraineur… de devenir lanceur d’alerte ? Est-il aussi protégé qu’un salarié du secteur privé ?


T. V. : C’est très difficile. Pour plusieurs raisons, liées à l’organisation du sport et à la culture de l’omerta. Le sport est un petit monde qui fonctionne sur la base d’une structure associative pyramidale où tout est lié et tous les niveaux s’enchevêtrent. À sa tête, il y a des dirigeants qui ont pour objectif de pérenniser leurs mandats d’élus et sont pour certains liés par des intérêts communs. Certains sont vertueux et exemplaires (ils sont souvent à l’avant-garde sur ce type de sujets), d’autres sont plutôt focalisés sur leurs intérêts personnels. En France, on peut par exemple constater que la priorité a plutôt été de combattre des problématiques externes comme celles des paris sportifs et trucages de matches sur lesquelles se focalise la plateforme nationale, au détriment de problématiques touchant au cœur même du système. La France n’a d’ailleurs par ratifié la convention de Macolin [3] qui lutte contre toutes les formes de manipulations dans le sport…


Contrairement à une société, les contrôles sont nettement plus faibles et les personnes investies du droit de vote (les dirigeants sont élus par les clubs ou leurs représentants) n’ont pas connaissance de l’intégralité des éléments, notamment comptables et financiers, leur permettant de voter de manière éclairée, et ce malgré les obligations de transparence de gestion qui pèsent sur les fédérations sportives. Or, c’est souvent là que le bât blesse… Seul le Ministère, autorité de tutelle qui a le pouvoir de demander des investigations via des inspections générales, en a connaissance. Mais, il ne les rend pas publics lorsqu’il existe des éléments à charge, privant les lanceurs d’alerte de protection et alimentant le sentiment d’impunité des auteurs de faits infractionnels parfois démis de leurs fonctions mais envoyés à l’international ou dans d’autres institutions…


La difficulté tient aussi au pouvoir de nuisance important du monde sportif à l’égard d’une personne qui souhaiterait révéler des faits infractionnels. Pour faire simple, un sportif ou un entraineur qui dénoncerait par exemple des malversations, contrats de travail fictifs, bakchichs (pots-de-vin) encourt un triple risque : disciplinaire (être sanctionné par exemple par une radiation ou suspension de licence pour avoir tenu des propos causant préjudice à la fédération), sportif (cesser d’être sélectionné à des épreuves ou en équipe de France, ne plus être inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau, être victime d’un arbitrage défavorable…) et financier (s’il perçoit des rétributions de la fédération).


C’est la responsabilité de l’État de le protéger.


Or, en l’état, la protection des lanceurs d’alerte dans le sport est quasi inexistante. Dans les entreprises classiques, des processus d’alerte éthique sont devenus obligatoires depuis la loi Sapin 2. Mais, ils sont rarement transposés au monde du sport.

Si bien que ceux qui osent prendre la parole sont souvent sanctionnés, persécutés, diffamés, renversés lorsqu’ils occupent des mandats électifs. Et leurs enfants subissent le même sort…


K : Quelles seraient selon vous les actions à mener, les dispositifs à mettre en place pour faciliter les signalements et assurer une meilleure protection des lanceurs d’alerte dans le monde du sport ?


T. V. : De nombreuses réflexions sont en cours, en France (cf. Conférence IRIS [4]) mais aussi au niveau européen (le Conseil de l’Europe a fait de la protection des lanceurs d’alerte dans le sport une de ses priorités).


Mais les avancées ne sont pas à ce jour satisfaisantes.


Aujourd’hui, les rapports de force sont déséquilibrés. Lorsqu’elles sont attaquées, les instances sportives mènent des opérations de décrédibilisation gigantesques à l’égard des lanceurs d’alerte. Elles les affublent de tous les maux, les traitent de « fous furieux » ou d’affabulateurs motivés par une volonté de nuire ou des ambitions personnelles.

Ce n’est évidemment pas le cas mais elles ont des moyens nettement plus importants pour se faire entendre et… les faire taire.


À mon sens, la première protection des lanceurs d’alerte est la transparence. Il est impératif que, lorsqu’une suspicion de fraude existe et qu’elle est étayée par des éléments objectifs ou un commencement de preuve, une enquête ait lieu et que ses conclusions soient rendues publiques même si elles dérangent. Je dirais même que c’est justement parce qu’elles dérangent qu’elles doivent être rendues publiques. Tout cela est d’abord une volonté politique car la loi le permet.


Les pistes de travail sont multiples mais on peut penser à la mise en place de processus de contrôle externe et indépendant, avec intervention de tiers, comme des avocats par exemple à même de garantir une confidentialité des échanges. Cela pourrait faciliter la remontée d’informations et l’effectivité du système si des suites sont données à ces alertes.


Surtout, la meilleure protection est encore de parler. C’est aussi la plus difficile. Mais ne rien dire, se taire, c’est cautionner un système et prendre le risque moral, civil et pénal d’en devenir le complice. Compte tenu de la complexité du sujet, face à une pareille situation, je conseillerais de prendre attache avec des organismes ou des avocats spécialisés du sport.


Pour en savoir + sur la notion de lanceur d’alerte, vous pouvez (re)lire la rubrique « C’est quoi ? » consacrée à ce sujet dans Kezako mundi 23, décembre 2018.


Notes :


© Studio Falour

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