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Nos magistrates prennent la parole !


Dans le numéro 22 de Kezako mundi (novembre 2018), nous évoquions la fonction de magistrat, avec à l'appui le témoignage de trois magistrates ! Après Camille Charme, retrouvez aujourd'hui en intégralité l'interview d'une autre de nos magistrates de choc : Saïda Nouredine-Safatian.


1) Comment êtes-vous venue au droit ? Qu'est-ce qui vous a motivée à suivre ce cursus ?


Le droit n’est pas une matière enseignée par les filières générales pré-baccalauréat. L’étudiant qui s’oriente vers des études de droit, après avoir obtenu son baccalauréat, se dirige donc quelque peu vers l’inconnu.

Ceci étant précisé, il m’avait semblé que le droit participait dès l’origine du fonctionnement de la vie collective et qu’il permettait de résoudre, de manière civilisée, les litiges de notre temps.

C’est donc tout naturellement, et sans avoir à me poser de questions, que je me suis orientée vers la faculté de droit après le lycée.


2) Vous étiez avocate, qu'est-ce qui vous a incitée à devenir magistrate ? Qu'est-ce qui vous attirée dans cette fonction ?


Dès avant le commencement de mes études de droit, j’étais fascinée par l’éloquence et la réthorique, qui permettent d’emporter la conviction de l’autre dans l’échange contradictoire. J’avais donc, très tôt, assisté à des procès au tribunal de la ville, comme on assiste à une pièce de théâtre. Les audiences du tribunal m’avait permis de constater que l’acteur le plus remarqué du procès était l’avocat parce que c’est lui que l’on entend, qui donne le ton. Je m’étais ainsi inscrite à la faculté de droit pour devenir avocat, ce que je fis en prêtant serment au sortir de ma formation à l’Ecole de Formation du Barreau de Paris.

Après plusieurs années d’exercice comme avocat d’affaires, il m’est apparu que l’acteur principal du procès était en réalité le magistrat puisque c’est à lui que revient la responsabilité, parfois vertigineuse, de trancher les litiges, c’est-à-dire de répondre aux questions posées par notre temps en appliquant le droit, et, en ce faisant, de rendre la Justice. Cette volonté de décider explique ainsi ma réorientation professionnelle.


3) Y a-t-il une spécialisation qui vous intéresse en particulier ? Savez-vous déjà dans quelle juridiction vous entrerez en fonction ?


Après avoir suivi le cursus du tronc commun en droit, je me suis orientée vers le droit privé général en maîtrise (4e année), en parallèle de laquelle j’ai préparé un certificat universitaire de droit social à l’Université de Strasbourg. Puis j’ai préparé un DEA de droit social (3e cycle) de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à l’issue duquel j’ai passé l’examen d’entrée à l’Ecole du barreau de Paris. Pendant ma formation comme élève-avocat, j’ai préparé un Master II de contentieux (3e cycle) et débuté une activité d’enseignement en droit du travail et introduction au droit (Paris 1) et en procédure civile (Paris 8). J’ai, en sus, eu la chance d’intégrer, en tant qu’élève-avocat, la Cour de cassation où j’ai pu, notamment, me familiariser avec la technique de la cassation en matière civile.


Mon domaine d’action privilégié est le droit civil au sens large (droit des contrats, droit du travail, etc.) et mon classement à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) me permettra de pratiquer à compter de la rentrée prochaine, en qualité de juge chargée du service de l’instance au tribunal d’instance de Montbéliard (Cour d’appel de Besançon).


4) Que pensez-vous que vous apportera votre expérience en tant qu’avocate dans votre nouvelle fonction ?


Je suis persuadée que mon passé dans l'avocature m'aidera à assumer les responsabilités qui incombent au magistrat, non plus en déterminant une stratégie judiciaire mais en répondant juridiquement à une question dans un cadre procédural défini, tout en en évaluant les conséquences pratiques (sociales et économiques).


En effet, j'ai exercé comme avocat d'affaires, essentiellement en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, où la dimension humaine du contentieux est prédominante. Ainsi, j'ai très tôt mesuré l'importance du respect des justiciables d'abord, des avocats ensuite, et ai compris que derrière un « dossier », il y a une personne qui attend.


De plus, je suis sensible aux règles procédurales fondamentales telles que le principe du contradictoire (c'est-à-dire le principe qui consiste à mettre en mesure toutes les parties à un procès de s'expliquer sur un élément du dossier) dans toutes ses manifestations. Plus généralement à cet égard, avoir été de l'autre côté de la barre m'a permis de comprendre les subtilités et enjeux procéduraux devant certaines juridictions.


Enfin, l'endurance du travail sur la durée assumée par l'avocat ne peut être qu'un atout lorsque l'on embrasse le métier de magistrat.


5) Comment avez-vous vécu la formation ?


Admirablement bien !

En effet, le programme d'enseignement est réfléchi dans le détail et est conçu pour nous préparer au mieux au monde judiciaire, par des enseignements théoriques et des mises en situations pratiques (telles des simulations d'audience).


Fort de connaissances juridiques acquises, l'auditeur de justice (c'est le titre officiel des élèves de l'ENM) bénéficie ensuite d'enseignements tirés de la pratique professionnelle de ses maîtres de stage et, avec elle, d'un dialogue inter-générationnel remarquable. En juridiction (le stage dure 10 mois), le futur magistrat doit ainsi apprendre à s'adapter aux exigences de la vie du tribunal, aux imprévus d'audiences, aux requêtes des parties et de leurs conseils qui attendent une réponse quasi immédiate dans bon nombre de situations.


Par ailleurs, la formation insiste sur les synergies qu'il convient d'élaborer avec les différents partenaires de la justice. Ainsi en est-il des auxiliaires de justice (avocats, huissiers de justice, notaires) ou des enquêteurs (policiers, gendarmes). De manière moins connue par les personnes extérieures au monde de la justice, les services pénitentiaires, le corps médical, les services sociaux, les magistrats non professionnels (conseillers prud'homaux, membres des tribunaux de commerce) ou encore les conciliateurs et médiateurs, jouent un rôle fondamental pour faire que la justice soit rendue avec qualité et humanité. Et le futur magistrat doit apprendre à composer avec eux.


Surtout et enfin, la formation à l'ENM, dispensée dans les matières civile et pénale, permet au futur magistrat, confronté à la dureté de certaines situations humaines, éprouvé et évalué pendant 31 mois, d'apprendre sur lui-même.


6) Que diriez-vous aux jeunes lecteurs qui souhaitent faire du droit, voire se destinent à devenir magistrat ?


Je leur dirais qu'ils font là un excellent choix d'orientation. Le droit est la voie reine pour comprendre la société dans laquelle on vit. Par ailleurs, on y apprend à argumenter, organiser ses idées et construire un raisonnement sur des bases intellectuelles solides.


Pour réussir en droit, il n’y a toutefois pas de recette miracle. Il faut tout d’abord un esprit de méthode qui peut s’acquérir progressivement par un effort régulier et soutenu. Il faut aussi et surtout un goût réel et sincère pour la discipline, qui ne saurait être entendue comme le vain apprentissage de règlementations qui varient constamment. Le droit est une science qui a ses principes, son histoire et son langage sans lesquels il est impossible d’acquérir l’intelligence critique qui fait le bon juriste.


Pour résumer, l’étudiant en droit accède au succès dans ses études s’il fait montre de constance dans l’effort du travail et, indiquons-le sans détour, d’amour de ce qu’il apprend. Effectuer un stage en juridiction ou en cabinet d'avocat est en outre un complément avisé et essentiel à la formation universitaire.


Sur la prédestination au métier – aux responsabilités vertigineuses – de magistrat, je vous renvoie à ce qui a été dit plus haut et je conclus au fait que c'est le plus beau métier du monde !


7) L’égalité femmes-hommes est-elle selon vous respectée au sein de la magistrature ?


Si l'on s'attache aux statistiques, on conclut rapidement au fait que, longtemps, le corps de la magistrature est resté déséquilibré au profit des hommes. Cela s'explique par le fait que les femmes n'ont pu accéder qu'en avril 1946 à la profession jusqu'alors réservée aux hommes. Aujourd'hui, les chiffres sont inversés puisqu'à l'école, les promotions sont composées à plus de 80 % de femmes et moins de 20 % d'hommes si bien que les déséquilibres perdurent.

Toutefois et pour le surplus, hommes et femmes sont confrontés aux mêmes réalités, difficultés, vicissitudes dans l'exercice de leur office.


C'est la raison pour laquelle, à mon sens, le véritable enjeu n'est pas tant celui de la répartition hommes/femmes que celui de la représentation des différentes composantes de la société. Et je souligne ici à quel point la magistrature s'est, au fil du temps, ouverte sur la société civile puisqu'elle recrute, sur concours ou sur titre, à l'issue des études mais aussi d'anciens fonctionnaires, salariés ou auxiliaires de justice. Ce faisant, il est permis de considérer qu'elle est correctement répartie.

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